Doris Schläpfer

Angels and Demons

Painting and Drawing

  • SINGULARITÉ IRREMPLAÇABLE

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  • Doris Schläpfer a entrepris ces deux dernières années d’amasser toutes sortes d’insectes trouvés morts sur le sol de son atelier (principalement des papillons de nuit et coléoptères, mais aussi des lucioles) qu’elle observe attentivement à la loupe avant de dessiner et peindre ce qu’elle voit : têtes, yeux, antennes, trompes, thorax, fourrures, pattes, ailes... Avec une approche plus interprétative que scientifique, qui l’autorise à augmenter à sa guise la taille de ce qui est en réalité extrêmement petit, elle essaie de faire ressortir notamment la singularité de chaque insecte au sein d’une même et minuscule espèce, accordant par exemple une attention toute particulière aux infimes différences de taille ou d’ouverture des ailes.

  • Une fois agrandi sur le papier ou la toile, tête noire et ailes repliées derrière le corps, l’insecte peut prendre aux yeux de l’artiste des allures d’ange ou de madone, qui l’élèvent selon elle au rang de sainteté, voire de majesté. Dans le cas des lucioles plus précisément, leur découverte a fait resurgir chez elle la figure de Pier Paolo Pasolini, assassiné tandis qu’elle étudiait la sculpture sur marbre en Italie, début novembre 1975. Quelques mois auparavant, le 1er février, l’article qu’il avait publié dans le Corriere della Sera annonçait «la disparition des lucioles» pour alerter quant aux dérives d’une « société du spectacle » – selon les mots de Guy Debord – qui finirait par engloutir notre civilisation.
  • Ces lucioles que Doris Schläpfer ne trouve jamais qu’inanimées, sans avoir même l’occasion de les voir scintiller, ne font qu’illustrer cette idée du philosophe Martin Heidegger selon laquelle la mort nous constituerait tous – et donc chacun d’entre nous – en tant que singularité irremplaçable. Parce que nul ne peut mourir à notre place. Contre toute entreprise massificatrice.
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  • ROMAIN JALABERT,
  • RESPONSABLE DE LA MAISON DES ARTS DE BAGES